COVID-19

L'ADN Innovation: La communication des marques a-t-elle du sens en période de crise ?

La communication doit-elle cesser, changer ou continuer comme avant ? Laurence Bordry Présidente du Club des Annonceurs, VP Innovation Lab Marketing Global - ACCOR et Laurent Habib, Président de l’Association des Agences-Conseils en Communication (AACC) et Président de l’agence Babel nous dressent un état des lieux du marché et leurs recommandations.

Comment est vécue cette crise par les agences et les annonceurs ?

Laurent Habib C'est un séisme professionnel très important pour la communication qui prend plusieurs formes. Tout d’abord vis-à-vis de nos clients dont une partie est touchée, nous sommes donc impactés par la fragilité de certains secteurs.

Ensuite, il y a les décisions prises pour repousser, arrêter ou diminuer les  budgets de communication. Je suis frappé de voir comment la communication est un élément de variable (voire le seul) que l’on a face à ce type de difficultés. Cela déclenche une situation critique d'abord pour les médias avec une baisse colossale des investissements (70% en moyenne avec des secteurs où les désinvestissements médias approchent les 100%).

Il y a enfin un impact économique sur l’écosystème de la communication dans lequel les agences ne représentent qu’une partie. Il faut également intégrer les free-lance, les sociétés de production, les structures événementielles...

Ce qui m'inquiète énormément, c'est que notre filière est en danger en France. Nous sommes une victime indirecte, mais une victime très certaine du coronavirus.

Laurence Bordry : Dans les premiers jours, la sidération régnait avec une attitude dominante : celle de vouloir, dans un premier temps, tout arrêter. Aujourd'hui, certains annonceurs essayent d'ajuster au mieux leurs investissements. Ce n'est pas toujours simple car, comme le souligne Laurent, la communication est souvent une variable d'ajustement, donc le premier budget impacté…

Même si les directions de la communication, et les directions marketing essayent d'expliquer la nécessité de continuer à communiquer, leurs recommandations ne sont pas toujours respectées. On essaye malgré tout de reporter nos prises de parole mais sans avoir de visibilité. C’est un sujet complexe à planifier : doit-on reporter en mai ? juin ? septembre ?

Une chose est sûre, il est important que les marques restent présentes dans le paysage et ne disparaissent pas du jour au lendemain. Au Club des Annonceurs, nous recommandons aux marques et à nos membres de continuer à communiquer, en ajustant avec leurs agences, leur ton et leurs messages.

Certains métiers de la communication sont-ils moins impactés en cette période ?

L.H. : Il y a trois types de secteurs économiques : ceux qui sont touchés ponctuellement, d’autres qui vont être touchés très durablement et ceux qui vont réussir à se préserver, voire qui vont être revalorisés pendant la crise.

Les secteurs qui fonctionnent par opération, de façon ponctuelle connaissent un arrêt qui devrait reprendre après la crise. D’autres secteurs vont être touchés de façon plus durable, je pense notamment à l'évènementiel.

Et enfin, vous avez des secteurs pour lesquels, au contraire, il pourrait y avoir une continuité.

La publicité est touchée car les marques hésitent à investir (à tort). Se retirer à un moment d'exposition extrêmement fort des médias est une erreur stratégiqueLe vrai questionnement doit se porter sur la pertinence du message pas sur le fait d’arrêter ses investissements.

Je pense également que la communication digitale, en repensant les messages et leur pertinence, a la possibilité d'avoir une activité importante. Mais pour le moment, étonnamment, les agences digitales connaissent une baisse d'activité significative, du moins, de ce qui remonte à l’AACC.

Cela a-t-il un sens de communiquer aujourd'hui ?

L.H. : Deux tendances s’affrontent. D’une part, ceux qui envoient le signal que la communication est devenue indécente. Je suis par exemple frappé par la décision de Coca-Cola de renoncer à ses investissements publicitaires alors qu’il s’agit d’une marque qui s’est construite à travers la communication. En retirant des millions d’euros d’investissement, qui va, par exemple, soutenir la presse ? Facebook ?

D’autre part, nous avons des marques qui pensent que c’est un moment pour être proche des gens, différemment, en trouvant leur place dans le mode de vie actuel des Français.es. Je pense que ces marques vont sortir gagnantes de cette crise car elles auront été proches de leurs publics à un moment où les gens étaient attentifs et intéressés. Certaines le font sur le terrain de l'intérêt général, d'autres de la vie quotidienne, mais elles trouvent un terrain de proximité.

L.B. : Je rejoins Laurent. Il faut continuer à communiquer avec le(s) bon(s) sujet(s). Je crois que les consommateurs attendent des marques qu'elles soient vraies, authentiques. Donc, faisons attention à ce que nous allons exprimer mais ne rompons pas toute communication. Il ne s'agit pas de parler pour parler, mais de penser à l’écosystème qui est impacté. L'investissement publicitaire finance les médias qui permettent de communiquer et de fournir aux citoyen.ne.s une information fiable, de qualité.

L.H. : En France, l’écosystème de la communication représente 32 milliards d’investissements dont plus de 10 milliards investis en médias. Il s’agit d’un revenu fondamental pour eux. Sans ces revenus, les médias n'auraient pas un équilibre financier satisfaisant, à l'exception de ceux (et ils sont rares) qui ne reposent pas sur un modèle publicitaire.

Il faut également prendre en compte une chaîne de métiers que j’évoquais auparavant. Nous parlons de 800 000 emplois directs ou indirects reliés au secteur de la communication.

La variabilité du budget communication est donc très discutable... Certains annonceurs refusent de rémunérer leurs agences, alors qu’elles fonctionnent sur un modèle d’équipes mises à leur disposition. Ces désengagements financiers sont vraiment douteux d'un point de vue moral et éthique.

J’ai parfaitement conscience de ce qui est essentiel en cette période. Nous ne sommes pas des professionnels du corps médical ou de l’alimentaire, mais nous sommes face à une déflagration qui va être très profonde.

Quels sont les arguments à utiliser pour toute personne désireuse de maintenir ses investissements?

L.H. : L'équation de base serait la suivante : la communication est un élément clé dans l'activité économique contemporaine, car la valeur d’un produit ou d’un service vient largement de la valeur de la marque. Cette valeur s’exprime dans la différence entre le prix que vous auriez consenti avec la marque et le prix que vous consentiriez sans la marque.

Il faut donc continuer à travailler sa présence auprès des publics mais pas uniquement. Il faut travailler la considération, associer sa marque à des valeurs positives, du sens, une raison d’être en lien avec des valeurs sociales, sociétales et environnementales. Construire une marque est un travail de sédimentation qui prend des années, des millions et qui, progressivement, accorde de la valeur à une chose plus qu’une autre.

Donc, si vous coupez un robinet, celui des médias, vous stoppez la relation avec vos publics avec le risque de ne jamais revenir au niveau précédent.

 

Quand Coca-Cola choisi de faire don à la recherche, n'est-ce pas au contraire une position de marque engagée ?

L.H. : Certes, mais le fait de se débrancher d’un système comme si cela était indifférent est un scandale. Si vous multipliez par 25 annonceurs cette logique, vous êtes dans une situation qui devient dramatique pour les médias.

C’est très bien de financer d'autres activités, mais il faut le faire en prenant en compte des équilibres qui sont très fragiles. L’aide ne doit pas se faire au détriment du déséquilibre d’un support d’information par exemple. Du moins, c’est la question qui se pose.

L.B. : Je pense que l'un n'empêche pas l'autre. On voit des entreprises qui ont décidé d'être actives et solidaires, qui font des donations, s'engagent et qui, en parallèle, maintiennent un niveau d’investissement en communication. Il faut sortir de cette logique binaire : tout d’un côté et rien de l’autre.

Nous travaillons la proximité avec nos publics toute l'année à travers nos stratégies de communication pour les engager. Il est important, dans ces moments de crise où le public a peur de repenser le rôle des marques qui ont une position à prendre dans cette crise.

Espérons-le, très prochainement, nous serons dans un contexte de déconfinement. Il sera très certainement marqué par une crise de confiance. Les marques qui auront conservé ce lien, seront très certainement plus audibles que les autres.

Cette crise va-t-elle changer nos façons de faire la communication ?

L.B. : Pendant le déconfinement, la communication devrait, comme en Chine, se faire de façon plus géolocalisée, à l’échelle d’une ville, d’un quartier. J'imagine qu’en France, et en Europe, nous sortirons également progressivement, à l’échelle de notre ville, région, pays, et beaucoup plus tard à l’extérieur de nos frontières. Cela devrait redéfinir le périmètre de la communication avec une nouvelle forme de proximité. Un scénario possible qui va de pair avec une prise de conscience beaucoup plus forte sur les sujets liés à la consommation locale en cette période de confinement.

Difficile d’évaluer comment les citoyen.nes vont réagir mais la proximité, la transparence comme vecteur de confiance devraient être des éléments clés de la communication dans les prémices de cette sortie de crise.

L.H. : Nous pouvons constater différentes mutations ou accélérations sur certains sujets. On pourrait parler de la remontée très importante de la question de l'environnement et de la santé, le nouveau rapport à l'espace, le développement du local avec vraisemblablement une nouvelle économie et une relocalisation industrielle, les mutations liées à l'espace privé par rapport à l'espace public…

Il y a une diversité de changements qui sont anticipés et prévus. Je m'interroge sur la façon dont les marques vont changer pour trouver leur place dans ces nouveaux équilibres. Il est certain qu’une partie des transformations provoquées par cette crise pourrait encore affaiblir les marques dont l’affaiblissement a commencé depuis les années 80/90.

Mais en parallèle, nous avons connu l’émergence de nouvelles marques « purpose natives » (nées avec un sens) qui proposent de nouvelles formes de connivence autour d’engagements forts, une solidarité avec les publics, elles ont insisté sur la transparence, la confiance. Peut-être que ces marques sortiront plus fortes, et donneront le LA.

Je pense tout de même qu'il faut éviter de considérer que les gens vont tout changer à leurs habitudes. Certaines mutations seront profondes mais l’intégralité du système n’est peut être pas amené à changer.

Ces propos sont extraits du webinaire "Comment on se parle ?" le rendez-vous hebdomadaire de L'ADN Studio pour vous aider à y voir plus clair sur les enjeux de communication en temps de crise. 

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